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Vous me direz que choisir d'aller chez le coiffeur un dimanche 3 janvier en
fin d'après-midi, alors que tous les salons du quartier sont ouverts de 7h30 à
22h30 en temps ordinaire (et de 7h. à 23h. toute la semaine précédant les
fêtes de fin d'année), c'est du vice. Mais vous savez bien comme c'est : on
repousse, on repousse. Et finalement il n'y a plus mèche de couper à cette
corvée.
Donc je me suis enfin décidé. Et je n'ai pas été déçu du voyage.
J'avais pourtant des appréhensions en pénétrant dans l'accueillante salle
d'attente, grande et chaleureuse comme un hall de gare, et surchauffée comme
l'enfer. Au centre, une caissière fiévreusement employée à compter ses
factures s'interrompait régulièrement pour disparaître sous son comptoir et
tenter, pour la n-ième fois sans doute, de venir à bout de la serrure
récalcitrante de son coffre, et nous faire part de son problème. À nous, les
deux clients.
Comme il y avait encore une quinzaine de chaises libres, et qu'un écriteau
barrant le vestiaire annonçait que celui-ci ne " travaillait pas ",
j'ai pris la liberté de poser mon manteau sur le siège voisin. Cette
infraction au Règlement ne pouvait échapper à l'une de ces bonnes petites
vieilles qui, partout, veillent au grain. J'ai dû reprendre mon bien sur les
genoux. Mais ce fut bien vite mon tour, et peu après j'émergeais du lavabo,
shampouiné de frais, pour m'entendre proposer tout de go par l'aimable
coiffeuse :
- Je vous propose une coupe que l'on a présentée récemment à un salon de
la coiffure en RFA. Vous n'avez rien contre?
- Euh... non...
Là-dessus, elle se met à jouer des ciseaux. Mais j'ai vite eu d'autres
centres d'intérêt, car elle a enchaîné :
- Vous avez vu 1a dernière exposition à la Salle centrale?
- De... de coiffure?
- Non, de peinture. Des oeuvres su-perbes ! Bon, pas toutes, mais il y a là
quelques toiles tout à fait remarquables.
Et de m'énumérer, au rythme où tombaient mes cheveux sur le carrelage, tous
les artiste, "à la jointure de 1'impressionnisme et du réalisme" qui
l'avaient émue à la Salle centrale des expositions. S'informant d'où je
venais, elle ajouta dans un soupir :
- Comme vous avez de la chance ! Il y a tant de belles collections, dans votre
pays ! Et les Manet, et les Cézanne, et Berthe Morisot, et... comment?...
- Non, je dis seulement : plus haut, la raie. Oui, c'est mieux. Mais dites-moi,
vous-aussi, vous en avez, des impressionnistes, dans vos musées. Je crois me
rappeler un immense Matisse...
- Certes, mais c'est dans le " fauvisme" qu'il s'est affirmé
définitivement.
- Ah, mais des " fauves ", vous n'en manquez pas à l'Ermitage.
- Vous pensez à "La danse" et "La musique"? Bon, mais
"Les tapis rouges", c'est bien dans un musée français ? À Grenoble,
je crois.
- Ma foi...
- Et la décoration de la Chapelle du Rosaire des Dominicaines, ça ne peut se
trouver qu'à Vence.
- Sans doute.
- Je vous les gonfle ?
- ...
- Les cheveux, je vous les gonfle, ou ça va comme ça?
- Oh, très bien, merci, ça suffit. C'est assez. . . euh. . . hyperréaliste.
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