La perte
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Chacun savait que Pekalov était un ivrogne qu il était
ruiné et que son projet n'avait pas une once de bon sens, ce qui ne
l'empêchait pas, lui, ce gredin, de les tirer par la manche et de vociférer : Le cadavre gisait à deux pas du tunnel. Des cheveux
irrégulièrement roux, ébouriffés le visage couvert de sang séché avec du
sable collé sur les joues et les yeux. Ces païens ne lui avaient même pas
croisé les mains sur la poitrine. Ça faisait déjà le deuxième. Un peu
beaucoup, non? "Comment il est mort?" demanda Pekalov qui s'entendit
expliquer en trois mots et sur le ton de l'indifférence (comme la fois
précédente) qu'accident ou règlement de compte, le pauvre diable avait reçu
un coup de ferraille dans l'obscurité Après quoi, ces gens, qui étaient des fugitifs, disparaissaient dans la gueule du trou et pendant une heure ou deux, rarement trois, creusaient la terre avec entrain et avec une certaine efficacité. Mais ensuite ils ne se sentaient pas bien. De la vingtaine d'évadés qui s'étaient jusqu'ici activés dans le tunnel, Yaryga était le seul à pouvoir se montrer au village ; pour tous les autres, il valait mieux qu'ils restent là, à proximité, à se saouler sur place. Voleurs et violeurs, ils creusaient ce tunnel contraints par leur situation totalement sans espoir. Ils progressaient par équipe de deux, l'un piochant à droite, l'autre à gauche, puis changeaient. L'étroitesse du boyau les obligeait à se courber, à se plier en deux. Derrière eux, faisant la chaîne, parfois par paire mais plus souvent un par un, les autres se passaient la terre pour l'évacuer. Dans le cliquetis des pics et le grincement des pelles, Pekalov s'approcha de chacun en lui glissant à l'oreille : " Qui a fait le coup, à ton avis ? ", mais les uns et les autres haussaient les épaules en signe d'ignorance. Ils travaillaient à la lueur de bouts de chandelle dans ce boyau humide et blafard, et Pekalov eut un frisson en imaginant la façon dont le rouquin avait été tué. Une sale blague. Le plus terrible était que si un meurtrier s'était glissé parmi eux, il n'allait pas s'arrêter là. Il continuerait à assassiner ainsi, tranquillement, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus qu'une poignée de survvants et que la terreur s'empare de chacun d'eux. Et là il serait à la fête. Plié en deux, Pekalov allait et venait entre eux, ce qui ne manquait pas de les gêner dans leur travail. En plus il marcha par mégarde sur un bout de chandelle. - Qu'est-ce tu viens nous faire chier ? lui lança l'un des abatteurs qui, l'obscurité aidant, feignit de ne pas l'avoir reconnu. Et d'un coup de pied il le repoussa du côté des gars qui dégageaient la terre. L'un de ceux-ci, énorme, partit d'un grand rire et, le saisissant par le col et le fond du pantalon, le rejeta plus loin encore. Ils avaient trouvé une distraction. Et c'est ainsi, sous les bourrades et les coups de pieds au cul, que Pekalov sortit du tunnel. Il secoua la terre de ses vêtements et s'assit aux côtés du mort. Lui au moins ne souffrait plus. Une fourmi courait sur son visage : d'une joue elle passa sur le front puis sur l'autre joue qui portait une croûte de sang séché. Ce n'était pas vraiment le mort en lui-même qui souciait Pekalov, mais le fait que ça lui faisait un ouvrier en moins. On est vivant et puis on ne l'est plus, qu'y faire ? Par contre, ce qui l'inquiétait bien plus sérieusement, c'était l'argent : devant eux, il crânait, assurait haut et fort qu'il n'en manquait pas mais il ne pourrait faire illusion longtemps. Dans les deux jours qui suivirent, il perdit également
Aliochka. Outre cette bande de canailles, il avait bien fallu embaucher
quelqu'un qui s'y connaissait un tant soit peu, et c'est pourquoi il prenait
tant soin de ce petit gars aux cheveux très clairs qui se faisait chasser de
partout pour son ivrognerie. Malheureusement, Aliochka s'était brusquement mis
en tête qu'il risquait d'y avoir un éboulement et s'empressant de prendre une
bonne cuite, il s'était endormi comme un sac pour se retrouver allongé à
côté du cadavre. Et tous deux avaient un petit air de ressemblance, le dormeur
et le mort. Or, voici que des buissons surgit soudain la femme d'Aliochka, le
genre de bergère à fuir absolument. Sans même prendre le temps de compatir
sur le destin du voisin allongé pour de bon, elle secoua son bonhomme,
l'attrapa par le col et lui hurla : /…/
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Notice bibliographique du SUDOC (Système universitaire
de documentation) La Perte / Vladimir Makanine ; trad. du russe par Richard Roy. - Aix-en-Provence : Alinéa, 1989 (13-Marseille : Impr. A. Robert). - 129 p :couv. ill ; 20 cm. - (Domaine russe) . - Trad. de : "Utrata". - 9782904631832 ISBN 2-904631-83-6 (br.) 79 F Collection: Domaine russe (Aix-en-Provence), ISSN 0993-6319 ; 1989 Titre original: Utrata AIX-MARSEILLE1-BU Le / DIJON-BU Droit Lettr / MONTPELLIER3-BU Lett / PARIS-Bibl.Langues O / PARIS4-BU Grand Pala / RENNES2-BU Lettres S / ST DENIS-BU PARIS8 / STRASBOURG-BNUS |
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